Je veux contribuer à un débat levé par Mr Ahmed Raîssouni,
prédicateur marocain renommé, dans plusieurs journaux marocains et qui porte
sur le statut de la responsabilité publique et de la gestion de l’état d’un
point de vue musulman ou islamique. الخلافة . La
question posée est celle du gouvernement des affaires de l’état dans le monde
musulman. Le débat est un débat contradictoire qui oppose les tenants dits de
la démocratie et les tenants du gouvernement selon les lois de la شريعة, soit de la sharia en
français (dans une acception malheureusement presque toujours négative), ou de
manière plus neutre selon la loi fondamentale telle qu’elle est établie
dans le codex musulman : le Coran.
L’argument général et
traditionnel est que la loi fondamentale musulmane ne permet pas de garantir la
pluralité des croyances ainsi que des non croyances (par exemple l’athéisme qui
est une croyance comme une autre) ce que la démocratie par contre garantit,
preuve s’il en est les amendements concernés dans la constitution américaines
ou dans le Bill du peuple anglais, ou la liberté religieuse inscrite dans la
constitution française. Sachant bien entendu que ces garanties sont toujours
conditionnées selon chaque régime par des obligations et des devoirs relatifs à
la culture du pays en question. La conception de la liberté religieuse n’est
bien entendu pas exactement la même selon qu’on soit aux USA, en grande
Bretagne, au pays des lumières ou au pays de Goethe, ni même les contraintes
afférentes.
Pourquoi le débat porte-t-il en
territoire musulman sur la notion de خلافة. Tout simplement parce que le
modèle recherché est celui de la gestion des affaires communes tel qu’il a été
promu et organisé par les successeurs et compagnons du prophète, abou Bakr ( ابو بكر الصديق) Omar عمر , Othman عثمان
et Ali على . رضى الله عنهم و رضو عنه . Parmi les
quatre cités deux sont cités par ailleurs dans un hadith comme étant ses deux
ministres sur terre (les deux ministres au ciel étant saint Gabriel et saint
Michel) . Chacun de ces successeurs du prophète a géré la communauté musulmane à sa manière, en
toute liberté, a été aimé par certains et détesté par d’autres, chacun d’entre
eux a eu ses contemptateurs et ses zélateurs. Trois de ces successeurs sont
morts assassinés, mais je ne m’étendrai pas par ailleurs sur des données
biographiques que pour l’essentiel je suppose connues. Chacun de ces
successeurs a reconnu qu’il était à la charge de chacun de pousser plus en
avant la recherche sur la gouvernance de la communauté même si chacun a
toujours mis en avant et imposé sa propre vision, légitime par définition, des
choses. On a donc quatre versions de la gestion des affaires communes en espace
musulman, toutes différentes mais toutes équivalentes en ce qu’aucune ne
contrevient essentiellement aux principes
de la loi fondamentale même si les modalités d’application peuvent
varier un successeur à l’autre.
Pourquoi le débat sur
l’opposition entre démocratie et loi fondamentale musulmane est-il forcément un
débat biaisé ?
Ce que l’on appelle islam
politique de nos jours est une réflexion menée par une multitude de
personne et portant sur le gouvernement des affaires politiques et sociales
dans l’ordre de la contemporanéité. Par exemple faut-il ou ne faut-il pas
interdire la consommation de l’alcool, ou faut-il seulement interdire la
publicité sur l’alcool (c’est actuellement l’objet d’un débat au Maroc) ou
faut-il interdire aux femmes ou les autoriser à conduire un véhicule, etc.
Elles peuvent porter aussi sur la nature des peines à appliquer en fonction des
crimes et délits ; faut-il par exemple condamner l’assassin à mort ou lui
infliger une peine de prison incompressible de trente ans ; faut il couper
la main du voleur ou le mettre au vert pendant cinq ans, etc. l’essentiel du
débat sur l’islam est un débat juridique. Il a aussi des aspects
économiques ; les droits et obligations concernant le crédit et l’emprunt,
quel niveau de taux d’intérêts seront considérés licites au regard de la loi
fondamentales et quels niveaux seront considérés comme illicites ( الربا ) ? quel niveau
d’imposition peut être considéré comme équitables et quels niveaux d’imposition
peuvent être considérés comme injustes ( الزكاة)? Il a des aspects sociaux,
s’agissant du mariage, de l’adoption, etc. L’expression loi fondamentale
dit bien ce qu’elle veut dire puisqu’elle porte sur tous les aspects de la vie
commune.
Le débat sur l’opposition
démocratie loi fondamentale, est aussi en ce sens un débat sur la
conciliation : comment peut-on concilier de nos jours la coexistence de
différentes cultures et différentes religions dans un même espace territorial.
Quel type de sauce politique faut-il inventer qui permette de saupoudrer un peu
de sel islamique dans un pudding anglo-libertaire ou une crème fraîche des
lumières dans un tagine arabo-berbère ? Ce débat tel qu’il est formulé est
donc un débat sur les dosages. Une cuisine politique en quelque sorte. Ergo
la question de l’interdiction de la publicité sur les alcools au Maroc. Elle
sera recommandée au non de la loi fondamentale, contestée au nom de la
démocratie, la liberté des cultes et des religions mais communément acceptée
par tous si elle n’est traitée que comme une pure affaire de santé publique
relevant non d’un débat idéologique mais d’une simple question de gestion
financière des affaires de l’état et d’une analyse des rapports couts et
bénéfices de la consommation de l’alcool sur l’état des finances
publiques. Lorsque la publicité sur les
alcools a été interdite en France, nul n’a prétendu que les socialistes étaient
des intégristes religieux, tous juste leur a-t-on reproché de ruiner les
finances des destinataires de ces budgets publicitaires, quel qu’ils soient,
journaux, télévisions, revues, afficheurs publics, etc.
En quoi est ce que la loi
fondamentale musulmane ne s’oppose pas à la démocratie. Une question en
matière de pouvoir en islam est souvent laissée de côté : la loi
fondamentale en régime islamique n’exclut pas la concertation ( المشورة). Que cette concertation se
fasse dans une agora (en réunissant par exemple toute la population d’un
village pour lui demander son avis) ou par le biais d’un vote à l’échelle
nationale. Parce que, qu’il s’agisse de loi fondamentale ou de démocratie, ce
dont il est question c’est toujours d’une délégation de pouvoir. Au final une
fois que la population a délégué ses pouvoirs il revient à l’exécutif de
prendre ses responsabilités et d’agir en conséquence. En cela rien n’oppose la
démocratie et la loi fondamentale musulmane. Sur la question de la
responsabilité de l’exécutif en cas de manquement, les choses sont certes
légèrement différentes. Le statut de l’exécutif en régime fondamental musulman
est plus couramment proche de celui d’un monarque absolu, sauf qu’il dépend du
monarque et c’est son strict intérêt, de préserver la cohésion du groupe social
qu’il régit en tenant compte des différentes sensibilités qui le composent. En
ce sens la monarchie absolue n’a jamais pu exister puisque la concertation doit
forcément avoir lieu sous peines de divisions sociales incommensurables. Si les
cabinets des rois, des présidents, des dictateurs et des empereurs sont chargés
de conseillers, c’est bien parce qu’il faut un espace pour la concertation,
preuve s’il en est qu’il n’existe pas de régime de pouvoir absolu.
En ce cas, qu’est ce qui
fondamentalement distingue un régime vivant sous la loi fondamentale
musulmane d’un régime vivant sous une constitution démocratique ?
La question est infiniment
complexe, mais disons, en attendant de la traiter, que la loi fondamentale
musulmane est le code nécessaire à un être humain, souverain, dés lors qu’il se
considère lui-même comme une nation et ce quelque soit le régime politique
auquel il est soumis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire