mardi 12 juin 2012

vu dans les journaux: interdire ou ne pas interdire la publicité sur la vente d'alcool au Maroc?


Je veux contribuer à  un débat levé par Mr Ahmed Raîssouni, prédicateur marocain renommé, dans plusieurs journaux marocains et qui porte sur le statut de la responsabilité publique et de la gestion de l’état d’un point de vue musulman ou islamique. الخلافة . La question posée est celle du gouvernement des affaires de l’état dans le monde musulman. Le débat est un débat contradictoire qui oppose les tenants dits de la démocratie et les tenants du gouvernement selon les lois de la شريعة, soit de la sharia en français (dans une acception malheureusement presque toujours négative), ou de manière plus neutre selon la loi fondamentale telle qu’elle est établie dans le codex musulman : le Coran.

L’argument général et traditionnel est que la loi fondamentale musulmane ne permet pas de garantir la pluralité des croyances ainsi que des non croyances (par exemple l’athéisme qui est une croyance comme une autre) ce que la démocratie par contre garantit, preuve s’il en est les amendements concernés dans la constitution américaines ou dans le Bill du peuple anglais, ou la liberté religieuse inscrite dans la constitution française. Sachant bien entendu que ces garanties sont toujours conditionnées selon chaque régime par des obligations et des devoirs relatifs à la culture du pays en question. La conception de la liberté religieuse n’est bien entendu pas exactement la même selon qu’on soit aux USA, en grande Bretagne, au pays des lumières ou au pays de Goethe, ni même les contraintes afférentes.
Pourquoi le débat porte-t-il en territoire musulman sur la notion de خلافة. Tout simplement parce que le modèle recherché est celui de la gestion des affaires communes tel qu’il a été promu et organisé par les successeurs et compagnons du prophète, abou Bakr ( ابو بكر الصديق)  Omar عمر , Othman   عثمان    et  Ali على . رضى الله عنهم و رضو عنه . Parmi les quatre cités deux sont cités par ailleurs dans un hadith comme étant ses deux ministres sur terre (les deux ministres au ciel étant saint Gabriel et saint Michel) . Chacun de ces successeurs du prophète a  géré la communauté musulmane à sa manière, en toute liberté, a été aimé par certains et détesté par d’autres, chacun d’entre eux a eu ses contemptateurs et ses zélateurs. Trois de ces successeurs sont morts assassinés, mais je ne m’étendrai pas par ailleurs sur des données biographiques que pour l’essentiel je suppose connues. Chacun de ces successeurs a reconnu qu’il était à la charge de chacun de pousser plus en avant la recherche sur la gouvernance de la communauté même si chacun a toujours mis en avant et imposé sa propre vision, légitime par définition, des choses. On a donc quatre versions de la gestion des affaires communes en espace musulman, toutes différentes mais toutes équivalentes en ce qu’aucune ne contrevient essentiellement aux principes  de la loi fondamentale même si les modalités d’application peuvent varier un successeur à l’autre.
Pourquoi le débat sur l’opposition entre démocratie et loi fondamentale musulmane est-il forcément un débat biaisé ?

Ce que l’on appelle islam politique de nos jours est une réflexion menée par une multitude de personne et portant sur le gouvernement des affaires politiques et sociales dans l’ordre de la contemporanéité. Par exemple faut-il ou ne faut-il pas interdire la consommation de l’alcool, ou faut-il seulement interdire la publicité sur l’alcool (c’est actuellement l’objet d’un débat au Maroc) ou faut-il interdire aux femmes ou les autoriser à conduire un véhicule, etc. Elles peuvent porter aussi sur la nature des peines à appliquer en fonction des crimes et délits ; faut-il par exemple condamner l’assassin à mort ou lui infliger une peine de prison incompressible de trente ans ; faut il couper la main du voleur ou le mettre au vert pendant cinq ans, etc. l’essentiel du débat sur l’islam est un débat juridique. Il a aussi des aspects économiques ; les droits et obligations concernant le crédit et l’emprunt, quel niveau de taux d’intérêts seront considérés licites au regard de la loi fondamentales et quels niveaux seront considérés comme illicites (  الربا ) ? quel niveau d’imposition peut être considéré comme équitables et quels niveaux d’imposition peuvent être considérés comme injustes  (  الزكاة)? Il a des aspects sociaux, s’agissant du mariage, de l’adoption, etc. L’expression loi fondamentale dit bien ce qu’elle veut dire puisqu’elle porte sur tous les aspects de la vie commune.

Le débat sur l’opposition démocratie loi fondamentale, est aussi en ce sens un débat sur la conciliation : comment peut-on concilier de nos jours la coexistence de différentes cultures et différentes religions dans un même espace territorial. Quel type de sauce politique faut-il inventer qui permette de saupoudrer un peu de sel islamique dans un pudding anglo-libertaire ou une crème fraîche des lumières dans un tagine arabo-berbère ? Ce débat tel qu’il est formulé est donc un débat sur les dosages. Une cuisine politique en quelque sorte. Ergo la question de l’interdiction de la publicité sur les alcools au Maroc. Elle sera recommandée au non de la loi fondamentale, contestée au nom de la démocratie, la liberté des cultes et des religions mais communément acceptée par tous si elle n’est traitée que comme une pure affaire de santé publique relevant non d’un débat idéologique mais d’une simple question de gestion financière des affaires de l’état et d’une analyse des rapports couts et bénéfices de la consommation de l’alcool sur l’état des finances publiques.  Lorsque la publicité sur les alcools a été interdite en France, nul n’a prétendu que les socialistes étaient des intégristes religieux, tous juste leur a-t-on reproché de ruiner les finances des destinataires de ces budgets publicitaires, quel qu’ils soient, journaux, télévisions, revues, afficheurs publics, etc.
En quoi est ce que la loi fondamentale musulmane ne s’oppose pas à la démocratie. Une question en matière de pouvoir en islam est souvent laissée de côté : la loi fondamentale en régime islamique n’exclut pas la concertation (  المشورة). Que cette concertation se fasse dans une agora (en réunissant par exemple toute la population d’un village pour lui demander son avis) ou par le biais d’un vote à l’échelle nationale. Parce que, qu’il s’agisse de loi fondamentale ou de démocratie, ce dont il est question c’est toujours d’une délégation de pouvoir. Au final une fois que la population a délégué ses pouvoirs il revient à l’exécutif de prendre ses responsabilités et d’agir en conséquence. En cela rien n’oppose la démocratie et la loi fondamentale musulmane. Sur la question de la responsabilité de l’exécutif en cas de manquement, les choses sont certes légèrement différentes. Le statut de l’exécutif en régime fondamental musulman est plus couramment proche de celui d’un monarque absolu, sauf qu’il dépend du monarque et c’est son strict intérêt, de préserver la cohésion du groupe social qu’il régit en tenant compte des différentes sensibilités qui le composent. En ce sens la monarchie absolue n’a jamais pu exister puisque la concertation doit forcément avoir lieu sous peines de divisions sociales incommensurables. Si les cabinets des rois, des présidents, des dictateurs et des empereurs sont chargés de conseillers, c’est bien parce qu’il faut un espace pour la concertation, preuve s’il en est qu’il n’existe pas de régime de pouvoir absolu.

En ce cas, qu’est ce qui fondamentalement distingue un régime vivant sous la loi fondamentale musulmane d’un régime vivant sous une constitution démocratique ?
La question est infiniment complexe, mais disons, en attendant de la traiter, que la loi fondamentale musulmane est le code nécessaire à un être humain, souverain, dés lors qu’il se considère lui-même comme une nation et ce quelque soit le régime politique auquel il est soumis.


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